les merveilleuses aventures de l'inexistante ayşe
Une pièce de Zeynep Kaçar
Traduite du turc par Erica Letailleur
la pièce
Ayse, une femme moyenne dans une famille moyenne d’un quartier moyen, raconte sa vie, depuis sa naissance jusqu’à sa dernière gorgée de thé.
Plusieurs épisodes rythment son inexistence : son premier jour de vie, marqué par la déception de ses parents du fait qu’elle ne soit pas un garçon ; son enfance bercée par les histoires toutes mélangées racontées par sa mère et par la peur que lui inspire le voisin du dessus qui lui « fait des choses honteuses » qu’elle ne racontera jamais à personne, préférant rester enfermée à la maison pour éviter le danger ; son apprentissage à l’école et l’endoctrinement à travers les leçons de vie, d’éducation physique, de mathématiques et d’histoire, où elle apprend surtout à renoncer à ses rêves, baisser la tête et cesser d’exister pour elle‐même ; ses études à l’université dont l’ultime objectif est de lui trouver un époux convenable, ni trop comme ci ni pas assez comme ça ; sa propre maternité, sa reprise du travail, sa vieillesse, la disparition de sa mère… jusqu’au constat final, au seuil de sa propre mort, assise sur son balcon à contempler le monde, de son inexistence.
La pièce se présente sous la forme d’un récit adressé à on ne sait qui, on ne sait quand, quelque part en Turquie à moins que ce ne soit ailleurs, par cette Ayşe qui elle non plus, n’est pas réellement une personne au sens propre : plutôt la somme d’une série de clichés et malheureusement Aussi, tout en ayant l’air de faire un récit personnel, le reflet réaliste et cruel de toutes les femmes. Au fil du discours, des scènes en flash‐back, où apparaissent la figure de la mère et celles des professeurs, viennent illustrer la non‐histoire de cette non‐héroïne, jusqu’au constat final – qui n’est que le point de départ d’un éternel recommencement, car après elle, viendront ses filles.
« Je suis née. Je n’ai pas pleuré. Ils m’ont donné une fessée. J’ai pleuré. Du fond de mon être un chant a voulu exploser mais j’ai regardé autour de moi personne ne bougeait un cil. Ma mère et mon père n’ont pas apprécié que je sois une fille ils ont dit. J’avais déjà une grande sœur, ils voulaient une fille un garçon. Deux filles, ça gâchait l’équilibre, si j’avais été un garçon ça aurait été mieux. Est-ce qu’ils allaient me jeter à la poubelle ? Est-ce qu’ils allaient me faire adopter ? Tout de suite, j’ai un peu minaudé. Alors ils ont souri doucement, ma mère m’a prise dans ses bras j’ai attrapé le sein plein de lait je ne l’ai plus lâché. Sinon je serais morte de faim. Toute mignonne, j’ai regardé le visage de ma mère. Elle s’est attendrie maternellement. Mon père aussi finalement a été d’accord. Ils m’ont acceptée, ils se sont habitués avec le temps. Moi aussi je me suis habituée à eux, avec le temps. Dans un monde moyen dans un pays moyen, comme une enfant moyenne dans une famille moyenne, nous nous sommes habitués les uns aux autres. J’ai compris que je serais moyenne avant même que nous posions le pied à la maison pour la première fois. Intelligence moyenne, goût moyen, salaire moyen, vision du monde moyenne, un appartement moyen, un quartier moyen. Tout était moyen, comme le nombre d’allumettes dans une boîte. Ma vie aussi allait être pareille. J’ai compris. »
nous avons choisi la forme d'une lecture performée minimaliste pour mettre en valeur cette pièce féministe incontournable du répertoire turc contemporain
Créée en français au Théâtre Antibéa (Antibes) en 2023, sous la forme d'une lecture performée, Les merveilleuses aventures d'Ayse est une forme minimaliste, porté par une actrice seule en scène, et qui s'adapte chez les particuliers, aussi bien que dans des structures du secteur social et éducatif. Tout est pensé pour pouvoir être transporté dans une simple valise. A l'issue de la représentation, nous proposons toujours un temps d'échange et de partage convivial, autour d'un thé.
Les Aventures merveilleuses de l’inexistante Ayşe est porteuse d’un message social et politique extrêmement riche. À l’image de la plupart des œuvres de Zeynep Kaçar, elle a pour sujet principal la condition de la femme en Turquie et au-delà. L’auteure y évoque le rôle de l’éducation et des médias dans l’endoctrinement socio‐culturel qui forge la condition féminine. Dans un langage à la fois poétique et drôle, elle attaque les clichés de manière frontale, en faisant résonner sa parole d’auteure bien au-delà des contingences culturelles. Ayşe (ou Ayşegül) en Turquie, c’est la « Martine » de la littérature jeunesse en France : « une femme moyenne dans un pays moyen » qui pourrait être toutes les femmes du monde, dans n’importe quel pays du monde.
Ici, Zeynep Kaçar, figure incontournable de la scène contemporaine de Turquie, reconnue unanimement dans le pays comme l’une des figures de proue du théâtre féministe, et récompensée par de nombreux prix littéraires et dramatiques, offre une œuvre de maturité, qui mêle au discours militant une force poétique indubitable. En ce sens, cette pièce est à la fois l’une des plus subtiles et des plus fortes du paysage dramatique contemporain en Turquie.
La pièce est entrée au répertoire de la Maison Antoine Vitez en 2023.